jeudi 26 janvier 2017

Derniers jours - la fin d'une étape...

Atelier de jeu masqué chez Themacult (Masques : Atelier Pirate)
On a fait la route le 19 janvier, pour la première fois sans anicroche !

Le vendredi 20 janvier nous avons offert un atelier de chant et de jeu masqué à huit comédiens de l’association THEMACULT (Théâtre Maoundoh Culture) , dirigée par Vangdar (Ismael Dorsouma). De la commedia dell’arte à la sauce tchadienne… C’est la première fois que j’entendais Tartaglia parler arabe : j’y comprenais rien, mais c’était tellement hilarant! Très beau de voir les types de la commedia se fondre dans ces nouveaux corps et épouser d'autres codes culturels. C'est fascinant comme ça marche partout ! Ici, la formation en jeu masqué est complètement inexistante. C'était donc la première fois que ces actrices et acteurs étaient confrontés à cet univers. Une belle exploration de l'engagement physique, de la présence, du concept de "faire vivre le masque" (tenir, pousser, agrandir, donner vie...) et d'un type de jeu extra-ordinaire, plus grand que nature, au bout de l'état, afin de décanter la vérité du jeu. Un moment privilégié !

Après le spectacle d'Élété !




Le soir, on est allé voir à l’IFT le spectacle de Élété Rimtobaye, jeune musicien tchadien maintenant établi à Montréal. Geneviève l’a rejoint sur scène avec le saxophone. Moment magique…! Plusieurs personnes dans la salle électrisée n’avaient jamais vu de saxophone, rebaptisant l’instrument «le bâton magique» le temps d’une chanson… Suite à sa participation-surprise au spectacle d’Élété, Geneviève a été invitée à participer à enregistrer avec plusieurs chanteurs du coin…








Le samedi 21 janvier nous étions en réunion/bilan le matin, et Geneviève et moi avons été malades tout l’après-midi (contrecoup de la fatigue accumulée dans les camps ou du maquereau mangé la veille ? Beurk.). 

Entre amis chez... Péni Ville (hihi !)


Dimanche 22 janvier, dernière journée. Avec les amis on sort de la ville, on se rend à Etena (30 km de N’Djamena) manger du chameau - MENOUM - et prendre un verre ensembles au Café Péni Ville. On rigole, on se remémore les dernières semaines, on profite des derniers moments, sous la chaleur sèche du ciel tchadien. Un dimanche parfait. 




Chameau (que c'est bon... mais que c'est bon !!)























Merci les amis. 
Merci.
Je me sens choyé. Nous avons été entouré de personnes formidables. 

Il y a tant de choses que je ne suis pas arrivé à articuler dans ce blogue. Il y a tant d’impressions à digérer, tant de souvenirs contrastés. Il y a tant de choses qui ne se décrivent pas, tant de choses devant lesquelles nous n’avons pas de référence. Comment raconter ces impressions ? Elles surgiront, sinon en mots peut-être en images. 


L’aventure se poursuit en 2018, au Canada cette fois… l’équipe s’agrandira encore. On vous tiendra au courant !








Mercredi 18 janvier : restitution — le grand jour !

Journée électrique. 
Sprint éclectique.
Fin abrupte…!

Le matin à 8h l’équipe de « Zone Rouge » (Taigue, Mathieu, Geneviève, Ngarta) est dans le camp afin de mener sa seule répétition dans l’espace. 

De 9h30 à 12h30, Geneviève et Mathieu font les dernières répétitions de chant et de théâtre en vue de la restitution. 

12h30-13h30 - Diner

De 13h30 à 15h, réunion avec le groupe Ndam se na Gondjé afin de parler d’organisation, de définir les postes clés, de mener des élections (présidence, secrétaire, trésorière, chef chorégraphe, chef théâtre, etc.). Plusieurs tensions intestines font surface… à voir comment cela va se poursuivre. En même temps, il y a de belles forces positives et humbles dans le groupe, qui ont le potentiel de propulser les autres. 

À 15h30 le public n’est pas au rendez-vous… les gens arrivent une heure plus tard ! 

16h30 : on présente « Zone Rouge » devant un public réceptif, captivé, réactif. Ils sont au moins 350.

16h55 : restitution du chant, du théâtre et de la danse. Les petits nez rouges pointent dans mille directions et brillent comme autant d’étoiles, je suis fier des participant.e.s, et touché par ce moment magique que nous vivons tous ensembles.

Photo-express

17h20 : on reçoit un appel de l’UNHCR… les voitures qui nous transportent doivent quitter le camp à 17h30 au plus tard. Si on n’embarque pas, ils s’en vont sans nous ! 

17h25 : on arrête le spectacle avant la présentation de la dernière danse… on ramasse nos trucs en vitesse, on prend les dernières photos de groupe dans le chaos du départ. On sert 10 mains par seconde, on saute dans la voiture devant une centaine de gens qui nous saluent, qui ne veulent pas qu’on parte, les bras en l’air et le désespoir au visage. 

17h29 : La porte se referme, la voiture quitte, et une pléthore d’enfants et d’adultes courent derrière la voiture tristes et reconnaissants… criant nos noms, se jetant par terre.





Pas de fin. Pas de retour. Pas de conclusion. 
Ça, c’est difficile. 
« C’est normal », nous dit Taigue, « C’est toujours comme ça…!»


Départ...

Impressions

  • une grande reconnaissance
  • une fatigue physique et émotive qui fait surface… le soir on mouche et on tousse de la poussière, les muscles sont endoloris, la peau est plaquée, craquée, noircie, couverte de piqûres d’insectes… 
  • l’impression de ne pas avoir pu mettre de point à cette aventure humaine, comme si on a coupé le fil sensible qui nous reliait à ces gens
  • le souvenir des dizaines de petites mains sales d’enfants qui nous accueillent tous les matins et tous les après-midi, qui nous suivent, nous collent, nous regardent étonnés ou souriants…
  • les regards complices avec les participant.e.s
  • les changements drastiques… ceux qui sont arrivés saouls et agressifs mercredi, brusquant les uns, repoussés par les autres, puis qui sont revenus le lendemain sobre, puis le surlendemain encore, appliqués, attentifs, nous disant que nos activités leur font du bien. Ils ont brillé lors de la restitution… ils ont trouvé un sens à tout ça. Est-ce que ça va continuer ?
  • les statistiques : 6 femmes sur 10 sont atteintes du SIDA ; les femmes ont leur premier enfant à 13-14 ans, elles en auront en moyenne 6…
  • les vêtements colorés des femmes, les coiffures-soleil des Centrafricaines, les tatouages des Peuls, la fierté des gens qui prennent part aux ateliers
  • les demandent constantes auxquelles nous faisons face : argent, bouteille d’eau, nourriture, téléphone, « amène-moi au Canada »… j’ai tellement faim. 
  • l’importance que certains donnent à ces ateliers, leur rigueur, leur soucis de bien faire et de voir les autres bien faire, leur concentration dans le travail, leur regard…
  • l’accumulation d’impressions si contrastées, de beauté et de laideur, de respect et de mépris, de résilience et de laisser-aller, de vie et de mort, d’horreur et de sublime, de vérité et de mensonge… tout ça sans jugement, parce qu’on est étranger, parce qu’on absorbe, parce qu’on analysera plus tard… sauf qu’à un moment ça déborde. Pleurer seul, un soir, sans trop savoir pourquoi. Épuisé. 


Dans la danse

Retour à Gondjé (10-18 janvier)

Enfin prêts...!
Retour à Gondjé
Dès le lendemain matin nous étions dans le camp. Notre équipe : Taigue, Ngarta, Geneviève, Cyril, Foxia (en remplacement de Renaud, indisponible pour raisons familiales), Hervé (un des danseurs de Taigue, venu pour l’assister) et moi. Du 11 au 19 janvier nous avons repris les formations de façon intensive afin d’arriver à monter avec les participant.e.s un spectacle reflétant le travail accompli (ce qu’ils appellent, comme en Europe, une « restitution ») à être présenté le mercredi 18 janvier en après-midi. On avait du pain sur la planche (ou de la boule dans la gamelle, ça dépend !). Les objectifs de ces derniers jours étaient nombreux : poursuivre la formation, créer un spectacle avec les participant.es, assurer une autonomisation artistique et logistique afin qu’ils puissent continuer à travailler après notre départ. En plus, nous devions, pour le documentaire, faire des entrevues avec certains réfugiés, ce qui n’avait pas pu être accompli lors de notre séjour en décembre. 


Entre Goré et Gondjé



Le premier matin, sur la route entre Goré et Gondjé, l’excitation était palpable. J’étais tellement content de pouvoir, enfin, me remettre à la tâche. En même temps, une certaine appréhension nous habitait tous : nous sommes partis si brusquement en décembre, sans explication et sans conclusion… comment vont-ils nous accueillir ? Comment allons-nous leur expliquer ? « Brièvement et efficacement, nous dit Taigue, on ne va pas insister là-dessus et on va se concentrer sur le spectacle du mercredi. »

Il faut dire qu’ils ont appelé Taigue tous les jours depuis le 21 décembre pour savoir ce qui se passait… 

À notre arrivée dans l’espace de travail, personne. Rien. Vide. Seul Masta, le président du groupe des danseurs, était là. Il a fallu tout recommencer, lui dire d’aller chercher les autres, de désigner les gens pour récupérer les tam-tams, pour commencer l’appel, pour préparer et balayer l’espace, pour arroser le sol, etc. 

« Tout est toujours à recommencer, c’est normal… » de nous dire Taigue. 
Ce matin-là, les ateliers ont commencé à 10h50 au lieu de 9h30…








Les formations
En ateliers
Quelle montagne russe émotive… Nous avions au total cinq jours avec eux, avant le 18 janvier (jour de restitution). Cinq jours pour revoir ce qu’on avait fait en décembre, approfondir le travail et monter un spectacle. Cinq jours de 9h à 17h30, sachant qu’ils n’arrivent jamais à l’heure. Le temps africain est élastique, et dans le camp beaucoup n’ont pas d’horloge ou de montre. En plus, la majorité des participant.e.s ont plusieurs enfants à gérer, affectant bien entendu l’heure d’arrivée le matin et au retour de la pause en après-midi. Enfin, et c’est un détail important : ce ne sont pas toujours les mêmes qui se présentent d’un jour à l’autre…!

Que de remises en question, surtout pour Geneviève et moi. Taigue travaille la danse avec eux depuis 10 ans, il connait son public, il a construit sa pédagogie en fonction de ce public. Il montre les pas, ils refont, il corrige, il divise le groupe en deux, il travaille séparément avec les deux groupes, ils présentent, puis il remet tout le monde ensemble. Le tout rythmé par les tam-tams sous la direction de Ngarta, qui forme en même temps les percussionnistes (les changements de mouvements sont annoncés aux percussions). Les pas et les chants traditionnels font partie de l’ADN des participants. En plus les danses sont entrainantes, les rythmes sont enivrants, il y a une marche à suivre claire… c’est magnifique !

Taigue en action 
En chant et en théâtre, nous voulions arriver à faire improviser les participant.e.s afin de les amener à s’exprimer de façon différente. C’est ce qu’on fait chez nous : on donne des outils puis on met les participant.e.s en situation semi-contrôlée afin qu’ils puissent explorer ces outils et les développer. L’improvisation est à la base de la formation artistique chez nous, et les enfants y sont initiés très jeune : on invente des chansons, on dessine ou on joue autour d’un thème, etc. L’art, chez nous, sert à s’exprimer. 

Pas ici… ici l’art, lorsqu’il n’est pas traditionnel, sert à sensibiliser. L’art sert à dire : voici ce qui est bien, voici ce qui n’est pas bien. Il n’y a pas de deuxième niveau.
Ici, on apprend par coeur, on récite, on reproduit. On est dans une culture où la pensée critique n’est pas encouragée — et le système politique en place a tout intérêt à ce que ça reste ainsi. Bon, ça c’est pour ceux qui vont à l’école. Au camp de Gondjé, beaucoup ne vont pas à l’école ou n’y sont jamais allés.  Alors : comment apprendre ? 

Le choeur
Ajoutons à cela la barrière de langue. Certains réfugiés, plus âgés, peuvent traduire du français au sango (patois centrafricain). C’est bien, mais comment traduire un contenu qui repose sur une approche pédagogique complètement étrangère ? 

D’autant plus que l’on ne travaille pas avec un système de références communes. Le système tonal et rythmique occidental n’a rien à voir avec ce qu’ils ont en Afrique centrale… et le théâtre physique ne ressemble à rien de ce qu’ils ont pu voir (pour ceux qui ont déjà vu du théâtre). 

Et je rappelle que les groupes ne sont pas toujours les mêmes d’un jour à l’autre…! En voulez-vous des défis ? En v’la ! En même temps c’est absolument fascinant. On se remet en question, on en apprend énormément sur l’Autre et sur soi, on ajuste, on réajuste, on « traduit », on invente… c’est de la création sous pression, dans le déséquilibre chaotique le plus complet, les deux pieds dans un univers parallèle en marge du reste du monde. 

Les nuits furent courtes.

Geneviève et moi avons constamment revu et modifié nos plans d’ateliers, réajustant le tir en cours d’ateliers. Si les gens n’aiment pas, ils quittent… le baromètre est très clair ! Heureusement nous avons toujours donné nos deux ateliers ensembles en participant à l’atelier de l’autre et en se conseillant en cours de route. Taigue a aussi donné son grain de sel, tout en sachant que les méthodes sont plus ou moins applicables d’un champ à l’autre. 

Finalement, il a fallu accepter, en ce qui concerne le chant et le théâtre, qu’on ne dépasserait pas « l’exercice », faute de temps. Le spectacle n’a donc pas été une création, mais plutôt un montage dynamique d’exercices dirigés par les formateurs. 

Florence


En répétitions à Goré
La création — « Zone Rouge 2.01 »
En parallèle, parce que ce n’était pas assez exigeant, les soirs et la fin de semaine nous avons poursuivi le travail de création et d’adaptation de « Zone Rouge », afin de le présenter le 18 janvier dans la foulée de leur restitution. Qui parlait d’une semaine intense ?

Là aussi, beaucoup de travail. Il fallait revoir l’ensemble de ce que nous avions créé pour le festival Souar-Souar et l’adapter pour ce nouvel espace et pour ce nouveau public. Une partie du travail avait été effectué pendant le temps de Fêtes et au début-janvier, mais il fallait maintenant tisser tout ça ensemble. 


Geneviève et Ngarta


On a revu l’écriture du spectacle, Geneviève et Ngarta ont entièrement recomposé la trame sonore (maintenant en direct et non amplifiée), on a revu l’occupation de l’espace et l’utilisation de la langue, on a refait deux scènes, on a créé de nouveaux costumes… bref on a fait un nouveau spectacle de 20 minutes.  

Ce fut intense, demandant, et magique tout à la fois. Les univers musicaux se sont entrechoqués vers la création d’un son unique et envoûtant. De même, la danse et le théâtre se sont entrelacés afin de rendre le propos plus simple, plus clair, plus viscéral. 

Nous savions que nous allions présenter quelque chose de complètement extra-terrestre aux habitants de Gondjé… mais pour nous l’important était de leur faire vivre quelque chose d’unique et de captivant, au-delà de la compréhension intellectuelle de la chose. 






Bedaine en cours....
Bedaine terminée ! Voici le chef Mbra !


Fin du suspense...!

La dernière fois que j’écrivais c’était le 7 janvier. Nous sommes le 22 janvier. Il m'a été impossible de m'installer pour mettre le blogue à jour avant ce matin. Depuis, quel tourbillon ! Je me sens… essoufflé. Envahi d’émotions si contrastantes… moments magiques, moments touchants, sentiment d’impuissance, remises en question, vagues troublantes de lucidité, épisodes choquants, pointes d’angoisse, périodes d’émerveillement, tous ces états se sont succédés et se sont empilés comme autant d’étages d’un immense gâteau à saveur de « go with the flow », saupoudré d’une bonne dose de piment-garçon…!

Je rappelle au passage que le condiment passe-partout, ici, c’est le piment. Le « piment-garçon », c’est le piment fort plus fort que le reste du piment fort, qui est lui-même très fort… il est fort… et à Goré, le piment est particulièrement garçon.

Allons-y…!

Rentabiliser le temps
La boule avec sauce gumbo
Cloués à N’Djamena par les entourloupettes administratives que l’on connait, nous avons décidé de mettre ce temps à profit. Les 8 et 9 janvier nous avons fait du tournage en vue du documentaire. Entrevues de fond le dimanche matin, puis sortie dimanche après-midi dans la concession familiale de Taigue au quartier Farcha. Les frères, soeurs, neveux et nièces de Taigue nous ont accueillis chaleureusement, et nous avons mangé LE plat traditionnel : la boule (qui rappelle la texture de la polenta) accompagnée par la gélatineuse et savoureuse sauce gumbo. Le tout se mange bien entendu à la main — tout un défi. J’ai même eu le bonheur de participer à la confection de ladite boule, tentant de brasser le mélange dans le grand caquelon de fonte sur le feu de bois. C’est du sport !! C’était touchant d’être là où Taigue a grandi, de rencontrer sa famille, de voir sa chambre d’enfance, de voir tous les neveux et nièces courir partout dans la concession familiale.

Le 9 janvier au matin nous avons fait une entrevue/rencontre avec John-de-John, le marionnettiste du Tchad. Il nous a accueilli chez lui, dans la grande concession dont il est propriétaire. John a découvert la marionnette au milieu des années 1990 et y consacre sa vie depuis. Il a monté plusieurs spectacles qui ont tourné un peu partout en Afrique et en Europe. Malgré cela, comme pour les autres artistes rencontrés, le manque de soutien de l’État rend sa tâche ardue. À 50 ans, John a été accepté à Charleville-Mézière en France (LE centre de formation en marionnette, reconnu internationalement). Il n’a pas pu se rendre faute de moyens pour payer son transport là-bas… Il nous a montré ses marionnettes et nous a parlé de ses activités de sensibilisation pendant que ses apprentis, à côté, sculptaient de grosses têtes dans la mousse. Son prochain projet : faire des marionnettes géantes de Sao. Les Sao, ancêtres mythiques des Tchadiens, pouvaient mesurer jusqu’à 3,5 mètres et avoir une force prodigieuse. Ils chassaient l’éléphant — enfin c’est ce qu’on dit ! Selon John, s’il y a un peuple qui peut et doit faire des marionnettes géantes, c’est celui qui descend des Sao, les seuls véritables géants d’Afrique. Le rêve de John : fonder une école de marionnette à N’Djamena et participer à former toute une génération de jeunes marionnettistes. « Tous ces gens-là formés, représentant le Tchad, et on pourra dire : ça, c’est l’oeuvre de John. Ne pas partager ce savoir, qui m’a été donné par Dieu, ce serait méchant, ce serait mal» nous dit-il, à l’ombre de son grand arbre, caressant les cheveux de son dernier enfant, nommé Espoir et âgé de quatre ans.


On a les papiers — plus rien pour nous freiner… ou presque !
Croyez-le ou non, on a eu nos &%#$ d’autorisations. Le 9 janvier en après-midi, nous revenions à peine de l’entrevue avec John lorsque Taigue a appelé. Il sortait du Ministère de l’Intérieur. « Ce sont vraiment des enfoirés. On a les papiers. Ça a été dur hein. Ce sont vraiment des… si je payais pas ils me donnaient pas. En tout cas, on part demain pour Goré. » Le pire dans tout ça, c’est que si on regarde bien lesdits papiers, on constate qu’ils sont émis depuis le 27 décembre. Depuis cette date, les papiers « circulent » d’un bureau à l’autre et d’une instance à l’autre pour recevoir des tampons et des signatures, et Taigue court derrière. Si Taigue ne jouait pas de ses relations et s’il ne sortait pas les billets demandés à la fin, on ne recevait les papiers que dans six mois… la corruption engendre la corruption. 

Ironie : vous savez ce qui est beau ? Le 27 décembre, Monsieur le Président a fait voter une loi anti-corruption à l’Assemblée — non mais quelle mascarade !

Le 10 janvier on a donc pris la route de Goré à 6h30. Retour sur cette route faite de trous, de crevasses, de goudron et de terre, à travers les petits villages, les plantations, les paysages désertiques se densifiant de plus en plus alors qu’on gagne doucement le sud. N’Djamena-Gelendeng, Genlendeng-Bongor, Bongor-Kelo, Kelo-Moundou, Moundou-Goré : 13h30 de route. 


La route de jour, c’est franchement mieux ! Ah oui bon, petit détail comme ça : on a laissé les freins à Dosseye. Oui-oui : les freins ! Les freins !!! À 30km de Goré, alors que nous traversions une énième crevasse, les plaquettes sont tombées. Fini — on ne s’arrête plus. Pendant 1h30, le chauffeur Roger a donc patiemment et habilement manié le frein à main à travers la route de terre cahoteuse menant au point de chute. Juste pour être certain d’avoir une histoire de plus à raconter….!


En route... !

dimanche 8 janvier 2017

3-7 janvier 2017 - La tourmente et l'éléphant

Ça traîne toujours
Bon… pour celles et ceux qui ont suivi, nous devions repartir le 3 janvier pour Goré afin de recommencer à donner nos formations dans le camp de Gondjé à partir du 4 janvier, jusqu'au 17.

En ce 7 janvier 2016, je suis en train d’écrire à partir de l'appartement de N’Djamena… et nous attendons toujours la signature des nouvelles autorisations, qui (tenez-vous bien!) doivent maintenant passer par le bureau de la Présidence de la République. Cette affaire a pris des proportions inimaginables. Nous avons rencontré hier les responsables du UNHCR à la maison-mère de N’Djamena — rien de moins. Pendant plus d’une heure, ils nous ont accueillis avec grande hospitalité et ils ont tenu à s’excuser personnellement pour ce qui nous arrive. Notre groupe d’artistes n’a, au fond, rien à voir dans toute cette affaire d’autorisations, de refus, de menaces et d’intimidation nous dit-on. Ça se passe au niveau des représentants du CNARR qui ont voulu montrer qu’ils avaient du pouvoir. Ils n’ont normalement jamais préséance sur le UNHCR dans ce genre d’affaires, mais comme le représentant du CNARR qui a décidé de nous mettre des bâtons dans les roues a de bonnes relations au niveau du Ministère de l’Intérieur (l’agence de renseignement) il en a profité pour faire le coq. Comme l’engrenage est en marche, il nous faut aller au bout des démarches et recevoir une signature du bureau de la Présidence. Oui, vous avez bien lu : un représentant du président de la République doit signer notre foutu papier ! 

Si je vous disais tous les allers-retours qu’a fait Taigue dans N’Djamena depuis lundi vous n’y croiriez pas. En plus on est en pleine crise de la fonction publique, en grève depuis plusieurs mois mais placée face à un décret du président forçant tout le monde à revenir au travail ce qui entraîne la grogne des syndicats. Certaines personnes se rendent au bureau, d’autres travaillent de la maison… Et les dossiers s’empilent. Lundi on a dit à Taigue qu’il aurait son papier mardi matin. Depuis il a passé des heures à attendre dans différents bureaux de la capitale, à appeler à droite et à gauche, à être envoyé d’un endroit à l’autre, à se faire demander d’autres photocopies de ceci et de cela, à se présenter à des rendez-vous où personne ne l’attend… Bref c’est la maison des fous ! (« MAIS JE NE VEUX PAS LE PORT !!! »)

Pendant ce temps, les groupes de danseurs, de chanteurs et de comédiens des camps de réfugiés de Gondjé et d'Amboko appellent Taigue trois fois par jour pour savoir où en sont les démarches. Ils continuent à se réunir tous les jours à l'Espace des Jeunes pour travailler, pratiquer et répéter. Ils sont là tous les jours -- c'est incroyable ! Je trouve ça merveilleux et ça me fend le coeur en même temps... Nous avons un groupe de plus de 75 personnes, entourées d'un public de près de 200 personnes, qui ressentent un réel besoin de cet espace d'art, de culture, de paix, de liberté. Ils sont là. Malheureusement, nous sommes cloués à 600 kilomètres par des administrateurs corrompus qui, eux, cherchent à se montrer la crête pour se sentir importants et pour, au bout du compte, se faire la piasse sur notre dos. C'est dégoûtant. 

Entre-temps, au lieu de piétiner nous avons continué à répéter et à approfondir notre création. L’IFT nous a gracieusement donné accès à la grande scène les 3-4-5 janvier. Sans Taigue, qui était toujours en train de sillonner les rues de N’Djamena, nous avons surtout répété à trois. Geneviève et Ngarta ont revu ensemble l’environnement sonore, et sont en train de composer de nouvelles musiques. C’est beau de les voir travailler ensemble, de les entendre se découvrir et échanger. Moi j’ai adapté le texte afin qu’il puisse être reçu par des gens qui ne comprennent pas le français. Le corps et l’image sont mis à profit. C’est super d’avoir ce temps pour aller plus loin, creuser, explorer et donner de la chair à ce que nous avions monté en décembre. La création prend une forme nouvelle en vue de la présentation à Gondjé. Les relations seront plus claires : celles entre nous sur la scène mais aussi et surtout celles entre nous et le public. Sans compter que l’espace de jeu sera complètement différent dans le camp de réfugiés. 

Vendredi le 6 janvier en fin-AM, Taigue s’est encore fait dire qu’il devait attendre lundi pour la %#?#& de signature. Nous avons ravalé notre colère collective et avons commencé à imaginer un plan B. Mardi (10 janvier) c’est un peu la date limite de départ afin de pouvoir faire un travail qui en vaut la peine à Gondjé. Si nous n’arrivons pas à partir mardi, on va rester ici et offrir des ateliers de formation aux comédiens de Vangdar chez Themacult ainsi qu’aux groupes d’alcooliques avec qui nous avions travaillé en décembre. Si nous arrivons à partir mardi, nous tenterons de repousser notre retour vers N’Djamena de deux jours (nous reviendrons le 19 au lieu du 17) afin de pouvoir passer un maximum de temps avec les gens de Gondjé. 


À l’ombre du Grand Éléphant
Monsieur chameau (ou madame chamelle)
En PM vendredi, nous avons décidé de décrocher et de relâcher un peu nos frustrations en sortant de la ville. Taigue nous a amené à 75 km au nord de la capitale, à Dandi, au Rocher de l’Éléphant. Nous avons roulé pendant près de deux heures dans un paysage de plus en plus désertique et de moins en moins peuplé : grandes plaines à perte de vue, arbres épars, quelques petits villages ici et là. Dans la voiture, ambiance de road-trip alors que la musique jouait à fond la caisse, les fenêtres ouvertes laissant passer l’air chaud et sec du début janvier. Au bord de la route, de plus en plus de troupeaux de boeufs, de troupeaux de chameaux (!!!), de groupes de chèvres (souvent en conférence de plusieurs dizaines de bêtes sous l’arbre à palabres…!), de moutons et de béliers soudanais — une étrange variété de mouton avec une très grosse queue poilue. Tout d’un coup, Taigue nous a pointé une majestueuse masse rocheuse se dressant au milieu de l’immensité. Quelle surprise. Comment est-elle arrivée là ?! Une demie heure plus tard nous étions au pied de cette montagne de roc. Il fallait se rendre de l’autre côté, sur une route de sable, pour trouver trois autres immenses monticules. 

Ensablés...




Conduire dans le sable, c’est un peu comme conduire dans la neige : des fois on reste pris. Eh ben… on est restés pris (merci Taigue !). Comme on n'est pas au Canada, il n’y avait pas de pelle ni de traction aids dans la voiture — malheur ! Heureusement deux jeunes d’environ 12-13 ans sont apparus de nulle part et nous ont sortis du pétrin en nous aidant à retirer le sable sous la voiture et à couper, avec des lames de rasoir qu’ils avaient sur eux, de grandes feuilles qu’on a placées sous les roues. Sans ces deux amis, on restait là un bon moment…!




On arrive...






Désensablés, nous avons pu nous rendre au fameux rocher. C’était simplement magnifique. Il était là, l’éléphanteau majestueux semblant avoir été taillé à même le roc par d’immenses mains venues de nulle part. Nous avons passé un long moment dans le silence venteux, juchés en haut de notre montagne, à regarder l’immensité s’étendre devant nous, oubliant les soucis administratifs de la grande ville alors qu’un grand troupeau de chameaux chargés de sacs de mil passait lentement au pied de la montagne. Moments magiques, comme coupés du monde par le grand éléphant de pierre… 







Le voici...


Il a même accepté de poser avec nous !